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Management générationnel : une approche à reconsidérer

  • Guides orientation et formation

En 2025, la génération Z (nés après 1995) représenterait 27 % de la population active des pays membres de l’OCDE1.

Les jeunes talents représentent désormais une composante non négligeable des effectifs et les entreprises s'interrogent dès lors sur les attentes de la GenZ. Mais ces appréhensions, souvent fondées sur des clichés, masquent les réels enjeux de l’engagement au travail.

En apparence, l’arrivée de la Gen Z sur le marché du travail bouscule les codes en entreprise. Mais si l’on a coutume d’attribuer aux jeunes talents des comportements et des attentes qui interrogent, la recherche, elle, réfute l’existence de caractéristiques uniformes liées à l'appartenance à une génération.

Mohamed Ikram Nasr, docteur en comportement organisationnel et professeur associé à emlyon business school, nous partage l’état de la recherche sur l'intégration en entreprise des jeunes diplômés. Ses conclusions sont claires : les études scientifiques ne confirment pas l'existence de ces « comportements générationnels ». Selon lui, cette approche masque les véritables défis des managers pour engager les collaborateurs.

Le mythe des différences générationnelles au travail : une construction sociale
Absence de fondement scientifique solide

Selon les sources de Mohamed Ikram Nasr, le concept de « génération » est une « construction sociale » avec peu de fondement scientifique. Les théories sur le management générationnel (apparues dans les années 70), sont souvent basées sur des événements historiques principalement occidentaux (majoritairement aux États-Unis) et manquent de falsifiabilité, c’est-à-dire difficilement vérifiables de manière empirique. Il n’est d'ailleurs pas possible de déterminer clairement quelles années marquent le début et la fin d’une génération (Gen X, Y, etc.) car les limites temporelles des générations font régulièrement débat.

Les recherches académiques récentes (en psychologie, sociologie, marketing) ne montrent pas de différences significatives entre les générations en termes de consommation, de comportement d'achat ou de préoccupations environnementales. Une méta-analyse publiée en 2024 dans le Journal of Organizational Behavior révèle même que les différences sont souvent de l'ordre de 1 à 3 % sur des variables telles que la loyauté, la satisfaction ou encore l’intention de changer d’entreprise.

Générations au travail : des stéréotypes simplificateurs

Les descriptions de la Gen Z sont souvent contradictoires : à la fois matérialiste et peu loyale sur le plan professionnel, mais aussi en quête de sens et de valeurs d'entreprise. Pourtant, ces qualificatifs ne sont pas nouveaux. Ils font écho à ceux utilisés pour les générations précédentes, comme la génération « Me » des années 60, décrite comme égocentrique et opportuniste.

Ces étiquettes s'apparentent à des stéréotypes. Elles simplifient la complexité du comportement humain, influencé par une multitude de facteurs :

  • l’âge ;
  • l'appartenance socio-économique ;
  • la personnalité ;
  • la géographie ;
  • la culture ;
  • les événements vécus.

En réalité, la variabilité des comportements et des attentes est parfois plus grande au sein d'une même génération qu'entre différentes générations.

Ainsi, si le concept de génération persiste dans l’imaginaire collectif, c’est avant tout parce qu'il est « pratique ». Il permet de simplifier des réalités complexes et multifactorielles. Plus encore, la perception négative du comportement au travail des nouvelles générations est renforcée par un biais perceptuel, la Juvenoia : la tendance à valoriser sa propre génération comme étant meilleure, plus sage ou plus intelligente que les suivantes.

Pour définir les jeunes générations, on invoque régulièrement des événements majeurs comme l’arrivée de l’iPhone, la crise des subprimes, ou même, le 11 septembre. Toutefois, ces épisodes ne sont pas universels. S’appuyer sur eux pour expliquer les comportements générationnels revient à ignorer les différences culturelles et régionales, pourtant essentielles dans des contextes de travail multiculturels.

Des préférences de travail similaires

L’analyse de tendances2 suggère que les préférences professionnelles sont plus similaires que différentes entre les groupes d'âge (se trouvant dans les mêmes étapes de vie). Les principales raisons de quitter un emploi ou d'en accepter un nouveau sont assez semblables, quelle que soit la génération : 

  • une rémunération inadéquate ;
  • le manque de perspective de développement et d'avancement ;
  • un leadership inattentif.

À l’inverse, les facteurs de rétention peuvent davantage varier selon l'âge des collaborateurs.

Comprendre les réels leviers de motivation
Gen Z et Millenials : des priorités supposées

Les jeunes générations, comme la Gen Z et les Millenials, sont souvent perçues comme cherchant l'équilibre entre argentsens et bien-être. Cela se traduirait par un désir fort d'acquérir de nouvelles compétences techniques ou des soft skills.

Les défis et inquiétudes attribués à la Gen Z

Ces priorités sont, en réalité, une réaction directe à des défis profonds. Les jeunes générations expriment une anxiété face à leur avenir économique, s'interrogeant sur leur capacité à accéder à la propriété ou à préparer leur retraite.

Confrontés à des coûts d’études croissants et à un marché en mutation, les jeunes se questionnent sur le retour sur investissement de leur formation. Ils veulent être sûrs que les compétences acquises ne seront pas obsolètes mais encore valables et valorisées une fois sur le marché du travail.

Leur volonté de développement rapide et d'acquisition de compétences est donc une réponse à ces préoccupations. Ils cherchent simplement à s'assurer que les capacités qu'ils développent les aideront à rester pertinents dans un monde professionnel qui évolue rapidement.

L'influence des étapes de vie

L'âge est un facteur plus pertinent que l'appartenance à une génération pour expliquer certaines attentes professionnelles. Les individus traversent différentes étapes personnelles qui façonnent leurs besoins et leur identité. Ces transitions sont plus significatives que le fait d'appartenir à un groupe générationnel prédéfini.

De plus, l'augmentation de l'espérance de vie implique des carrières plus longues, conduisant à de multiples transitions professionnelles. Dans ce contexte, l'apprentissage continu et le maintien de la santé physique et mentale deviennent des impératifs pour tous.

Le management des équipes hétérogènes : une approche holistique
Sortir de l’approche systémique du management

Le concept de génération n’ayant pas de fondement scientifique réel, adopter une approche standardisée est à proscrire. Les managers intermédiaires doivent être outillés pour pouvoir comprendre et interagir de manière personnalisée avec chaque collaborateur. La clé est de miser sur des relations authentiques, sincères et transparentes entre les responsables et leurs équipes.

Cela nécessite de décentraliser la gestion des employés au sein d’une entreprise pour donner aux managers le temps et les ressources nécessaires pour réellement les connaître. Une telle approche privilégie la considération, la reconnaissance de chaque individu et un management plus juste, des valeurs essentielles pour conduire des équipes hétérogènes.

Investir dans le développement des managers

Le manager a un rôle clé dans l'engagement et le bien-être des équipes. Selon une étude3près de 70 % de l'engagement d'une équipe est directement attribuable à son manager. L'impact d'un leader de proximité sur la productivité et la motivation de ses collaborateurs est donc majeur.

Pourtant, le manque de formation des managers fait partie des facteurs de désengagement. D'après le rapport State of the Global Workplace de Gallup, moins de la moitié des managers (44 %) dans le monde déclare avoir bénéficié d'une formation adéquate pour assumer des responsabilités. Cet investissement dans leur développement n'est donc pas un luxe, mais un impératif stratégique.

Offrir un soutien holistique aux collaborateurs

Pour fidéliser les talents et garantir leur engagement, il convient d’aller au-delà des simples fiches de poste. Les organisations doivent adopter une approche holistique pour soutenir leurs collaborateurs, en agissant sur plusieurs leviers.

La sécurité financière

  • Proposer des salaires compétitifs.
  • Offrir des avantages sociaux flexibles (santé, garde d'enfants, frais de déplacement).
  • Proposer une éducation financière4 pour adresser les phénomènes d’anxiété liés à l’argent.

Le développement continu

  • Miser sur le mentorat et les opportunités d’apprentissage sur le terrain.
  • Reconnaître que tous les salariés n’aspirent pas à devenir managers. Certains privilégient une mobilité horizontale : prendre de nouvelles responsabilités ou changer de poste au sein d’une même entreprise, sans que cela soit une promotion.

Le bien-être et la flexibilité

  • Favoriser une culture du travail positive avec des valeurs sincères, qui vont au-delà de la simple mesure de la performance.
  • Redessiner le travail pour lui donner un sens et une utilité sociale claire.
  • Éviter les initiatives superficielles – comme la mise en place d’un Chief Happiness Officer, d’un baby-foot ou de salles de massage –, souvent vues comme inappropriées si elles ne s'accompagnent pas d'une transformation profonde.

La clé pour attirer, engager et retenir les talents ne réside pas dans un management générationnel stéréotypé, mais dans une approche humaine et individualisée. Prendre en compte les besoins et les motivations spécifiques de chaque collaborateur est indispensable pour créer un environnement de travail épanouissant et un engagement durable.

Pour cela, les entreprises doivent investir dans l'apprentissage et le développement des compétences, la sécurité financière, le bien-être et surtout, la formation des managers. En les outillant pour comprendre et accompagner leurs équipes, les organisations se donnent les moyens de créer un environnement propice à l'épanouissement de chacun et chacune, garantissant ainsi leur propre performance sur le long terme.


1 Bloomgarden, K. (2022). Gen Z don’t want to work for you. Here’s how to fix that. World Economic Forum. https://www.weforum.org/stories/2022/05/gen-z-don-t-want-to-work-for-you-here-s-how-to-change-their-mind/
 
2 Clifton, J. Harter, J. K. (2019). It’s the manager: Moving from boss to coach. Gallup Press.
 
Faber, E. Gen Z and millennial survey. Deloitte Insights. https://www.deloitte.com/us/en/insights/topics/talent/2025-gen-z-millennial-survey.html
 
4 De Smet, A. Mugayar-Baldocchi, M. Reich, A. Schaninger, B. Gen what? Debunking age-based myths about worker preferences. McKinsey & Company. https://drive.google.com/file/d/1uAtpAtYOlmMVmF1agZXAvvgegTzvSuGT/view