Pourquoi les managers doivent devenir plus justes ?

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Cet article s’appuie sur les travaux menés par Thierry Nadisic pour son livre « Le management juste » (UGA Éditions), publié le 18 octobre 2018. Thierry Nadisic est chercheur à emlyon business school, docteur en comportement organisationnel et professeur agrégé. Ses recherches explorent le sentiment du juste, les émotions et l’épanouissement au travail et dans la vie quotidienne. Il a reçu le prix AGRH de la meilleure recherche francophone en 2016 et le prix de la fondation HEC de la thèse de l’année en 2008. Il intervient régulièrement dans Formation intra-entreprise et sur-mesure d'emlyon business school telle que Atos excellence programme.

De même que les peuples anciens avaient besoin, avant toute chose, d’une foi commune pour vivre ensemble, nous avons de nos jours un besoin primordial de justice. Les recherches en justice organisationnelle ont montré qu’être juste consiste non seulement à rémunérer les personnes de façon équitable, mais aussi et surtout à leur donner voix au chapitre lorsque l’on prend des décisions qui les concernent, puis expliquer et justifier les décisions prises tout en faisant preuve de respect et d’empathie. adult-american-blond-1282268 Un manager a intérêt à intégrer cet impératif de justice dans sa manière de gérer. C’est bien sûr une question d’éthique. Il s’agit aussi de professionnalisme. À l’avènement de la troisième révolution industrielle, un responsable qui veut permettre à ses salariés de réussir leur mission doit de plus en plus souvent chercher à satisfaire leurs besoins fondamentaux. Et il s’avère qu’être juste est la manière la plus efficace de répondre à ces besoins. Une légitimité à prouver Pendant longtemps dans l’entreprise, jusqu’à la fin des années 1960 en France, la légitimité des responsables découlait naturellement de leur position dans un système d’autorité. La satisfaction des besoins des salariés était considérée comme étant une propriété naturelle de ce système. Des sentiments de justice et d’injustice pouvaient être ressentis par des salariés mais ils avaient peu d’impact sur leur comportement au travail. Les salariés obéissaient aux normes sociales et aux ordres de leur chef. Depuis, la société s’est profondément transformée. Aujourd’hui, la légitimité d’une autorité pose question. Elle n’est plus ressentie comme naturelle. Elle doit être prouvée. On ne fait plus spontanément confiance à un professeur, un prêtre, un expert diplômé, un homme politique, un père de famille. De même, un manager doit montrer sa compétence pour être considéré comme digne de confiance par ses collaborateurs. Et la capacité à être juste fait partie des attendus pour un poste de responsable. Les comportements des collaborateurs sont devenus plus sensibles, en positif comme en négatif : ils vont bien en deçà et au-delà de l’obéissance. Des sentiments d’injustice sont à la source de négligences, de démissions voire de sabotages. En revanche, se sentir justement traité entraîne de la coopération, de l’innovation et de l’engagement. Ces réactions permettent à leur tour à l’entreprise de mieux faire face aux nouvelles incertitudes qu’elles soient technologiques, sociétales, concurrentielles ou de marché. Comment cette nouvelle compétence sociale de production de sentiments de justice permet-elle au manager de construire une légitimité favorable à ces comportements ? Trois mécanismes ont à cet égard été identifiés. D’abord, les salariés respectent un lien de subordination dans l’entreprise car c’est le cadre habituel d’échange de leur travail contre une rémunération à la fois monétaire et symbolique. Ce faisant, ils courent le risque d’une exploitation économique, mais aussi relationnelle. Leur responsable peut utiliser sa position dominante dans la relation pour ne pas rémunérer leur travail à sa juste valeur, ou pour ne pas les considérer comme membres à part entière du collectif de travail. Le sentiment d’être justement traités leur permet d’avoir confiance dans le fait que l’organisation et ses responsables continueront à leur donner l’argent et la considération qu’ils méritent. Dépasser une vision utilitariste de la justice file-20181127-76737-1xr68tm Ensuite, les membres d’une organisation ont un besoin intrinsèque de travailler dans un environnement qui respecte la morale, les droits des personnes et leur dignité. Cette motivation, dite déontique, indépendante des bénéfices matériels et relationnels que leur procure la justice, a été mise en évidence tardivement, ce qui a permis de dépasser une vision longtemps restée uniquement utilitariste de la justice. La justice est aussi une fin en soi. Enfin, les salariés préfèrent des systèmes et des responsables justes car ceux-ci leur assurent une meilleure maîtrise de l’incertitude dans l’organisation. Être traités justement leur permet de mieux prévoir le lien entre ce qui leur arrivera dans l’entreprise et ce qu’ils ont réalisé concrètement. Cela favorise donc un meilleur pilotage social de leurs comportements. Il est à noter que ce dernier motif est compatible avec les trois précédents qu’il inclut : un environnement de travail juste diminue l’incertitude concernant à la fois les récompenses matérielles, la satisfaction des besoins de reconnaissance sociale et le respect des normes morales. file-20181127-76737-gvdvka Ce sont ces trois mécanismes psychosociaux qui permettent à un manager juste de répondre aux besoins fondamentaux des salariés au travail. Être juste est ainsi devenu une compétence sociale cruciale à la fois pour construire sa légitimité comme responsable et pour favoriser des comportements d’autonomie permettant de faire face aux enjeux d’une économie en transformation rapide. Source : The conversation - 29 novembre 2018