Knowledge brokering : catalyser l’innovation et le partage de savoirs
Publié le 18.01.2024
Le courtage de connaissances est une méthodologie d'open innovation destinée à améliorer les processus dans l'entreprise. Elle consiste à rechercher des idées externes auprès de personnes issues de secteurs, métiers et contextes différents, en les combinant ensuite avec les problématiques propres à l'entreprise. Pour mieux comprendre comment les entreprises mettent en œuvre cette méthode, nous avons interrogé une experte : Rhoda Davidson, docteure en sciences de gestion à emlyon business school. Une conversation qui explore les mécanismes et les avantages du knowledge brokering, ainsi que le rôle des « courtiers de connaissance » dans le paysage actuel des organisations.
Comment fonctionne le courtage de connaissances ?
L'open innovation, ou innovation ouverte, permet à des entreprises d'innover en faisant appel à des intervenants externes. Le courtage de connaissances est une approche méthodique qui permet de s'inspirer des retours d'expériences provenant d'une grande variété de secteurs, de métiers et de contextes, pour ensuite les combiner avec les idées des collaborateurs de l'entreprise. C'est un moyen de repenser de manière innovante les processus business.
La première étape consiste à identifier le processus métier à refondre et à constituer une équipe projet aux profils diversifiés. Je recommande de choisir diverses parties prenantes impliquées dans le processus opérationnel afin de s'assurer que toutes les fonctions et tous les points de vue sont représentés.
Ensuite, Il est nécessaire d'analyser la problématique et la décomposer en ses principaux éléments constitutifs ou lots. En décomposant le problème, davantage de collaborateurs seront susceptibles de contribuer et ainsi d’accroitre la puissance d’apport de solutions.
La troisième étape consiste à trouver des "courtiers de connaissances". Ces personnes peuvent êtres issues de domaines totalement éloignés de celui de votre entreprise. Il peut s'agir de médecins, de chefs d'orchestre, etc. L'essentiel est qu'ils aient une expérience pratique et une connaissance tacite sur l'un des éléments qui compose votre problématique. Il est essentiel d'étendre la recherche à différents secteurs d'activité. Concentrez-vous sur les entreprises ou les secteurs qui ont récemment rencontré le même problème que vous et ont su le résoudre. Les écoles de commerce en particulier peuvent aider à identifier les courtiers en connaissances. Dans ces écosystèmes, certains consultants sont d'ailleurs spécialisés dans ce domaine - mais le plus souvent, des contacts précieux existent au sein même du réseau professionnel des collaborateurs de l'équipe. Nous avons observé que les experts sont généralement disposés à partager gratuitement leurs connaissances, car ils aiment partager leurs succès professionnels et bénéficient également de l'échange. L'essentiel est de laisser le courtier en connaissances raconter sa propre histoire et de permettre à l'équipe de poser des questions.
L'étape finale consiste pour l'équipe à utiliser les méthodologies de « design thinking » pour incorporer les idées des courtiers en connaissances à ses propres idées afin de faire émerger une solution innovante. Trois ou quatre éléments innovants suffisent à créer un effet de surprise auprès de la direction générale. Le nouveau processus d'entreprise peut alors facilement être piloté et mis en œuvre par l'équipe.
Pourquoi le courtage en connaissances est-il si efficace ? Quels en sont les avantages ?
Statistiquement, le fait d'avoir plus d'idées permet à une équipe d'être plus innovante dans la recherche de solutions. L'un des principaux obstacles à l'innovation que le courtage en connaissances permet de surmonter est le syndrome du "ça n'a pas été inventé ici", selon lequel les organisations rejettent les idées extérieures parce qu'elles sont convaincues du caractère unique de l'entreprise, ce qui entraîne une résistance aux innovations provenant de l'extérieur. En employant le courtage en connaissances en tandem avec la pensée conceptuelle, la distinction entre les idées internes et externes s'estompe. Cette méthode peut briser la résistance au changement, combler le fossé entre l'intérieur et l'extérieur et permettre aux innovations externes d'être considérées comme de réelles opportunités. Le courtage de connaissances réduit également le temps et le coût de l'apprentissage, car il s'agit de méthodologies solides qui ont déjà été déployées et ont porté leurs fruits dans d'autres organisations. Des études montrent que le courtage de connaissance est beaucoup plus efficace que les approches conventionnelles et qu'il est au moins deux fois plus rapide.
Comment le courtage de connaissances peut-il alimenter les programmes de formation ?
Le courtage de connaissances est une excellente méthode pour former à l'innovation ! Il ne s'agit pas d'un exercice académique : les participants travaillent sur des problèmes réels qui leur permettent de développer leurs compétences en matière d'innovation en temps réel. En travaillant sur des défis sélectionnés par la direction générale, les talents les plus brillants de l'entreprise se sentent valorisés et peuvent être fiers d'améliorer certains processus de l'organisation.
Les participants sortent du processus de courtage de connaissances avec une nouvelle expertise en matière d'innovation ainsi qu'avec une précieuse expérience concernant le problème stratégique ou opérationnel sur lequel ils ont travaillé. S'ils ont travaillé sur la refonte d'un processus stratégique, ils maitriseront davantage la stratégie de l'entreprise. S'ils travaillent sur un problème opérationnel, par exemple, lié à la gestion des stocks, ils auront une vision de la chaîne d'approvisionnement de l'organisation.
Enfin, tous les participants acquièrent des compétences en matière de leadership et de travail d'équipe, car ils sont poussés à travailler efficacement au sein de leur équipe projet et sont coachés tout au long de la formation. En un seul projet, les participants apprennent à innover, à approfondir leur expertise, à conduire le changement, à travailler en équipe et à faire preuve de leadership. Mais ce n'est pas tout : au bout du compte, l'entreprise dispose d'un meilleur processus d'innovation. Non seulement elle nourrit ses meilleurs talents, mais elle capitalise également sur une pratique et un savoir-faire désormais reconnu dans l'organisation.
Comment les idées innovantes apportées par les courtiers en connaissances peuvent-elles être intégrées efficacement dans l'entreprise ?
Le courtage de connaissances doit être un travail d'équipe. L'une des règles d'or en matière de change management, c'est de ne pas agir seul. Ceux qui agissent seuls vont vite, mais ceux qui agissent ensemble vont plus loin. Et bien sûr, conformément aux bonnes pratiques en matière de conduite du changement, le processus doit être testé c'est à dire que l'on doit pouvoir procéder à de petits ajustements sans nécessairement tout changer simultanément. Ce processus de pilotage permet également d'obtenir le soutien des parties prenantes, en leur montrant que vous disposez d'un nouveau processus crédible. L'utilisation d'une telle combinaison de courtage de connaissances et de design thinking au sein d'une équipe accélère l'adhésion et l'adoption du processus au sein de l'entreprise. Le taux de réussite est remarquablement élevé.
Par exemple, j'ai travaillé avec une banque qui envisageait d'ouvrir des filiales en Europe mais qui avait de grandes difficultés pour se développer à l'international. Leur procédure d'ouverture de filiale était en réalité totalement inadéquate. L'un des courtiers que nous avons recrutés pour cette mission venait de Pizza Express, une chaîne de pizzas. Il était particulièrement compétent pour trouver des emplacements de choix et savait exactement comment ouvrir un nouveau restaurant de manière efficace. En adaptant les techniques de l'entreprise de restauration, la banque a rendu beaucoup plus performant son processus d’ouverture de filiales. Un mélange d'expertises surprenant, mais qui s'est avéré très fructueux !
Le développement durable devient un sujet éminemment stratégique pour la pérennité des entreprises. Le courtage de connaissances peut-il être utilisé pour rendre les entreprises plus responsables ?
Le développement durable est un très bon exemple de cas d'usage permis par le courtage de connaissances. Alors que les stratégies et les processus de développement durable tendent à se ressembler plus qu'à se différencier, il y a d'importants avantages à innover en la matière. De nombreux chefs d'entreprise sont parfaitement conscients de la nécessité pour les entreprises de s'attaquer aux questions sociales et de développement durable : réduction de l'empreinte carbone, préservation de la biodiversité, fin du travail des enfants, maintien de conditions de travail sûres et de salaires équitables. Nous sommes tous concernés. Résoudre ces problèmes est bon pour la société et vital pour notre planète. Lorsqu'il s'agit de ces questions, les entreprises qui ont eu de bonnes idées ont tout intérêt à aider les autres à progresser efficacement afin de créer des conditions de concurrence plus équitables et de réaliser des économies d'échelle sur ces sujets. C'est gagnant-gagnant et d'intérêt général à la Société.
Comment l'Intelligence Artificielle (IA) peut-elle modifier ou améliorer le courtage de connaissances ?
L'IA prend de grandes quantités de connaissances explicites, c'est-à-dire des informations qui peuvent être codifiées et enregistrées, et les résume de façon succincte et compréhensible. Mais le courtage de connaissances est fondé sur l'expérience, sur l'analyse de situations réelles racontées par des êtres humains. Il s'agit de connaissances tacites.
Si l'IA d'aujourd'hui ne traite que des connaissances explicites, qui sait de quoi demain sera fait ? Peut-être l'IA deviendra capable de travailler avec des connaissances tacites. Peut-être qu'au fur et à mesure de ses progrès, l'IA sera capable d'exploiter nos connaissances tacites simplement parce qu'elle comprendra mieux le comportement humain ?
Une autre possibilité est liée à la première étape du courtage de connaissances, qui consiste à prendre la problématique et à la décomposer en plusieurs parties, en supprimant les informations relatives à l'entreprise et à l'industrie. L'IA sera certainement en mesure de contribuer à cette étape parce qu'elle a moins d'idées préconçues sur les connaissances qui pourraient être pertinentes dans une situation donnée. À l'avenir, l'IA pourrait être très efficace pour identifier les bons courtiers en connaissances. Elle pourrait même suggérer des réserves de connaissances auxquelles nous n'avions pas pensé pour un problème particulier, simplement parce qu'elle analyse différemment les choses.
Le courtage de connaissances redéfinit la manière dont les entreprises améliorent leurs processus, mettant en évidence son pouvoir transformateur dans le paysage économique. L'utilisation d'informations externes devient cruciale pour relever rapidement les défis stratégiques, opérationnels et organisationnels grâce à des solutions originales. Face à l'urgence des défis énergétiques et climatiques, le knowledge brokering peut jouer un rôle de catalyseur, en favorisant l'open innovation au bénéfice de tous.
Success story : le courtage de connaissances d' E.ON UK au service d'un programme d'approvisionnement responsable
E.ON UK, filiale britannique de l'entreprise européenne d'électricité E.ON, a intégré le courtage de connaissances dans ses process afin de développer des pratiques d'approvisionnement responsables. Reconnaissant l'importance de la RSE - une valeur fondamentale du groupe E.ON - et le risque associé aux mauvaises pratiques des fournisseurs, l'entreprise a divisé le défi en quatre domaines : les fournisseurs et les processus d'audit, l'évaluation des risques des fournisseurs, les rapports et les processus internes, et les relations avec les ONG.
Pour résoudre ces problèmes, E.ON UK a fait appel à des courtiers en connaissances issus des réseaux personnels et professionnels de ses collaborateurs. Ces courtiers, issus d'entreprises non concurrentes telles que HP et Hilti, ont partagé des techniques avancées d'audit des fournisseurs, que l'équipe d'E.ON a ensuite utilisé pour créer un processus d'approvisionnement plus efficient et établir un code de conduite. Grâce à Marks & Spencer, E.ON a appris comment évaluer et améliorer les normes des fournisseurs, en créant des questionnaires pour les fournisseurs et en définissant des éléments à contrôler lors des audits. Quant aux groupes IKEA, Shell et Nestlé, ils ont donné des indications sur le traitement et la communication des données relatives aux achats. Enfin, Philip Morris et HP ont partagé leurs expériences en matière de partenariat avec des ONG pour améliorer les normes de RSE dans les chaînes d'approvisionnement. Le directeur de la chaîne d'approvisionnement et le conseiller juridique ont approuvé l'analyse de rentabilité des nouveaux processus d'approvisionnement responsables, qui ont été testés et puis mise en œuvre. Le programme responsable d'E.ON a ensuite permis au groupe de remporter deux prix lors des CIPS Supply Chain Management Awards. Ces bonnes pratiques ont ensuite été déployées dans d'autres filiales européennes.
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