Trop de jeunes entrepreneurs ignorent les signaux d’alerte financiers
Publié le 29.04.2024
Selon une nouvelle étude, les jeunes entrepreneurs ont une forte tendance à ignorer les mauvaises performances financières de leur entreprise plutôt que de renoncer à leur projet entrepreneurial.
Les deux chercheurs, François-Régis Puyou, professeur de comptabilité et finance d'entreprise à emlyon business school, et Maxence Postaire, professeur de contrôle de gestion à l'ESC Clermont Business School ont constaté qu'à leurs débuts, certains jeunes entrepreneurs sont littéralement aveuglés par leurs rêves de réussite. Ils pensent que leur esprit entrepreneurial parviendra à les tirer de toutes les situations difficiles.
En raison de certains mythes liés à l'entrepreneuriat, comme ne pas dégager de profits dans l'immédiat, traverser des phases de résultats médiocres, ou encore l'idée selon laquelle tous les entrepreneurs surmontent des obstacles en début de parcours, les startuppers ignorent trop souvent les signes annonciateurs de mauvais résultats ou d'échecs potentiels.
Pour parvenir à ces conclusions, les chercheurs ont notamment analysé la manière dont les résultats comptables et les prévisions financières influencent les émotions des entrepreneurs pendant les réunions consacrées à ces questions, et si elles suscitent de l'espoir ou de l'anxiété chez les dirigeants de start-ups. Pour ce faire, ils ont conduit un projet de recherche immersif pendant huit mois dans un incubateur qui propose des espaces de travail et des services d'accompagnement. Les chercheurs ont assisté à toutes les réunions financières afin d'analyser les réactions des entrepreneurs face à l'annonce des premiers résultats de l'entreprise et le rôle des prévisions sur les mesures prises par la suite.
L'étude a révélé que l'annonce de mauvais chiffres engendre de l'anxiété chez les entrepreneurs et leurs équipes. Pour autant, ces derniers décident le plus souvent d'ignorer ces signaux d'alerte très clairs et de poursuivre leur projet en s'appuyant sur des prévisions toujours plus ambitieuses en dépit d'une probabilité très faible de parvenir à retourner la situation. Les entrepreneurs ont recours à des stratégies destinées à surmonter les résultats décevants : redoubler d'efforts, revoir à la hausse les prévisions de vente en s'appuyant sur des développements de nouveaux services irréalistes, ou encore accepter les conséquences de difficultés financières considérées comme passagères (ne pas se verser de salaire, par exemple) durant la période jugée nécessaire pour que l'entreprise devienne rentable.
Aux yeux des entrepreneurs interrogés, il s'agit là de l'essence même de l'« esprit entrepreneurial ». Cet optimisme exagéré ne fait que retarder l'inévitable échec de leur entreprise et ne les aide pas à faire le lien entre piètres résultats et faillite de la société.
Pour François-Régis Puyou : « Bien que de nombreux entrepreneurs relatent les difficultés rencontrées à leurs débuts et la façon dont ils ont réussi à les surmonter, il est important de se rappeler que les chiffres demeurent des éléments plus tangibles qu'une anecdote d'entrepreneur à succès. L'analyse financière offre un aperçu fidèle des performances d'une entreprise. Il est donc essentiel d'en tenir compte. Lorsqu'il est question de résultats et de prévisions financières, les entrepreneurs ne doivent pas laisser l’espoir ou l’enthousiasme troubler leur jugement ».
Selon les chercheurs, les entrepreneurs se doivent d'être plus objectifs vis-à-vis de leurs rapports comptables. Il est essentiel qu'ils gardent la tête sur les épaules et qu'ils ne poursuivent pas à tout prix un projet clairement voué à l'échec. L'une de leurs recommandations consiste à renforcer la diversité de l'équipe entrepreneuriale, afin que les dirigeants soient confrontés à des voix contraires, ainsi qu'à des points de vue plus mesurés au sein de l’entreprise.
Source : Postaire, M. and Puyou, F.-R. (2024), "Restor(y)ing commitment to a failing organization: how narratives and forecasts mitigate anxiety", Accounting, Auditing & Accountability Journal, Vol. 37 No. 3, pp. 840-865. https://doi.org/10.1108/AAAJ-03-2021-5204