Interculturalité et engagement des salariés : un enjeu pour les entreprises
Spécialiste du management interculturel, Catou Faust est professeure à emlyon business school depuis près de 10 ans. Ses travaux de recherche s’intéressent aux problématiques interculturelles qu’il s’agisse de culture nationale, de culture d’entreprise ou de culture générationnelle. Elle revient dans une interview pour le magazine ANDRH sur les enjeux RH du moment, qu’ils concernent la différence culturelle ou l’intégration de la génération Z.
Vous enseignez à emlyon business school depuis près de 10 ans. Quels sont vos domaines d’expertise ?
J’ai vécu et travaillé plus de 10 ans hors de mon pays et cela me passionne d’observer comment les gens de cultures différentes s’ajustent pour travailler ensemble. Je reste fascinée par le fait que l’on ait des prismes différents sur beaucoup de sujets tels que la prise de décision et que l’on en soit rarement conscients. Je suis convaincue que travailler dans un milieu diversifié en termes de cultures au sens large nous permet d’apprendre sur les autres mais surtout beaucoup sur soi-même : notre capacité à remettre en question nos certitudes et à nous apercevoir que nous ne nous souvenons plus de ce qui les justifie sinon la force de l’habitude. Ainsi, je m’intéresse aux cultures nationales ou ethniques mais aussi à d’autres formes de cultures. Dans le cas de rapprochement ou de rachat d’entreprise, il est aussi passionnant d’observer comment chacun est pétri de sa propre culture organisationnelle : comment il est influencé par ce qui est perçu comme un « bon » comportement ou « bonne » pratique dans son entreprise et comment il a du mal à changer ce prisme.
Je m’intéresse aussi aux ressources humaines et notamment à la question de l’engagement des salariés, un sujet important car le taux d’engagement est extrêmement bas, notamment dans notre pays (7% selon Etude Gallup 2024), quand il est de 33 % en Amérique du Nord !
Spécialiste des questions RH et de management interculturel, quelles sont les problématiques, enjeux, auxquels sont confrontées les entreprises à l’heure actuelle ?
Ces dernières années, nous avons beaucoup parlé du temps de travail et de la rétention des talents. Des sujets toujours importants aujourd’hui mais qui passent en second plan sous l’effet d’un contexte économiquement défavorable. La question de l’engagement est désormais au cœur des problématiques. En ce qui concerne le management interculturel, les entreprises sont encore peu nombreuses à prendre le sujet à bras le corps ! Pourtant, les problématiques liées à la différence culturelle sont toujours plus importantes, et touchent aujourd’hui tout le monde.

La génération Z a des aspirations différentes de celles des seniors. Comment analysez-vous cette asymétrie ?
La génération Z ne vit pas sur une autre planète : nous respirons tous le même air, nous vivons tous dans le même contexte social, économique, politique et même digital. La différence est que les adultes de plus de 30 ans ont connu d’autres contextes et que cela les a marqués. Ils portent donc en eux une sorte d’ambivalence : il y a des pratiques ou des valeurs qu’ils regrettent du passé et d’autres qu’ils se sont empressés d’adopter. En ce qui concerne la génération Z, elle n’a respiré que l’air d’aujourd’hui, c’est sa normalité, sa référence.
Ainsi, dans certaines situations, les points de vue peuvent diverger mais aussi converger. En ce qui concerne le rapport au travail par exemple, j’ai la conviction que sur beaucoup de sujets, la génération Z est une sorte de porte-voix des aspirations des plus âgés : parce qu’ils ont eu une éducation qui mettait l’individualité fortement en avant, ils osent affirmer leurs attentes. Mais qui ne serait pas d’accord avec le souhait d’une hiérarchie plus plate ? De statuts moins marqués ? De plus de flexibilité dans les horaires ? D’une communication plus ouverte ? De feedback plus fréquents et plus encourageants ?
On retrouve dans ces revendications de la génération Z, beaucoup d’aspirations des générations X et Y. Finalement, c’est assez pratique de laisser les jeunes exprimer ces demandes.
Et au sein de l’école, quels sont les changements observés de la part des étudiants ?
Le grand changement, je pense, c’est malheureusement l’usage de l’intelligence artificielle. Elle est arrivée d’un coup, les institutions d’enseignement et les enseignants n’ont pas eu le temps de s’y préparer et notre défi aujourd’hui c’est : comment faire en sorte que les étudiants continuent à utiliser leur cerveau ? C’est crucial.
Quant à leurs souhaits, il est difficile de généraliser, mais ce que je vois dans une école de commerce, c’est encore que la sécurité reste importante, notamment la sécurité financière. Même si on leur attribue souvent une importance donnée à la recherche de sens, cela se heurte rapidement à la question des salaires (il est vrai qu’ils sont nombreux à être endettés dans l’enseignement privé) et peu nombreux sont ceux qui décident de revoir leur niveau de vie à la baisse pour aligner leurs valeurs avec leur travail : se diriger vers le secteur associatif ou coopératif serait par exemple un débouché intéressant pour ces étudiants mais très peu les choisissent en première intention. En revanche, après 10 ou 15 ans, il arrive que ce soit dans cette direction qu’ils bifurquent après un début de carrière déçu.
La seconde chose qui ressort est la volonté de multiplier les expériences. Là, je crois qu’il y a une vraie rupture avec les générations précédentes.
Article publié dans le supplément du magazine de l’ANDRH n°638 - mai 2025