Stratégie Digitale #4 - Le dirigeant et la stratégie digitale
Stimulante, enthousiasmante, captivante ! En cette période de révolution numérique, la stratégie digitale est omniprésente dès qu’il est question de performance et de croissance de l’entreprise. Cet article s’inscrit dans le cadre d’une série publiée chaque lundi et jeudi matin explorant la stratégie digitale sous de nombreuses facettes à travers ses défis et ses enjeux.
Article écrit par le professeur Jean-Philippe Timsit responsable du certificat emlyon Transformation Digitale Organisations
Cette série d'articles que vous êtes maintenant habitués à voir en ligne traite de la stratégie digitale telle qu'on la conçoit, et telle qu'on la pratique. Et il est temps maintenant de parler du dirigeant. Le dirigeant que vous êtes peut-être, à plusieurs niveaux possibles, ou celui avec lequel vous travaillez. Comment le dirigeant fait-il vivre sa stratégie digitale ?
Il faut tout d'abord clarifier le propos. De qui parle-t-on exactement lorsque l'on parle de dirigeant ? La question du dirigeant adresse en fait plusieurs profils extrêmement différents, et s'ils sont différents, leurs rôles dans la stratégie digitale, de la formulation à l’exécution, seront très différents.
La notion de dirigeant peut prendre un grand nombre de formes, mais on entend en général par dirigeant trois familles de profils:
- Le DG: directeur général, patron de comex (ou comdir), propriétaire ou non, gérant, ...
- Le directeur fonctionnel: directeur marketing, directeur SI, directeur financier, directeur commercial...
- Le directeur de Business Unit (BU): directeur d'activité ou de division
Il y a un grand nombre de formes de dirigeants, mais avec ces 3 familles, on recouvre une grande partie des typologies de dirigeants. Et cela est important car en fonction du type de dirigeant dont on parle, on évoquera des stratégies digitales de différents types. En effet, l'investissement du dirigeant dans la stratégie digitale sera différent si l'on parle d'un patron de comex ou d'un directeur de BU, mais aussi si l'on parle d'une entreprise de 5000 salariés, ou d'une TPE, d'un secteur très technologique ou d'un secteur traditionnel, ... Les variations peuvent être considérables. Quoi qu'il en soit, sur le plan organisationnel, on parlera de stratégie digitale corporate vs stratégie digitale business. La stratégie digitale corporate traitant de l'entreprise elle-même, dans son intégralité; la stratégie digitale business traitant des activités (Business unit, ou familles de produits). La stratégie digitale business devant être alignée avec la stratégie digitale corporate, la liberté dans la conception et l'exécution sera bien moindre à ce niveau.
Cela signifie donc qu'en fonction du niveau organisationnel, la pratique de la stratégie digitale sera différente. Chaque type de dirigeant aura donc une pratique différente de la stratégie digitale, en fonction de son périmètre et de son engagement possible par exemple. Mais quel que soit le niveau, le dirigeant doit comprendre comment sa stratégie digitale, celle qu'il a conçue et formulée avec son équipe, sera exécutée. En quoi les actions stratégiques exécutées dans les fonctions sont en harmonie avec les actions au niveau corporate. Et nous sommes en la matière face à une difficulté de taille, car il n'a lui-même pas été formé à cela.
En effet, prenons l'exemple de l'exécution de la stratégie digitale en marketing. Les premières méthodes de marketing automation, c'est à dire toutes les techniques marketing automatisables comme par exemples la génération de lead ou la création de personas extraits d'un CRM, ont commencé à être déployées il y a moins de 10 ans. Ce champ est tellement nouveau que la page wikipedia dédiée à ce sujet a été créée fin 2014. Hormis pour les créateurs d'entreprise, on dit qu'il faut 20 ans pour former un bon dirigeant. Cela signifie qu'en moyenne, les dirigeants en activité ont commencé à exercer avant l'arrivée de ces techniques. Mais alors comment faire pour formuler une stratégie et en définir une exécution précise et efficace si l'une des facettes de l’exécution est soumise à une évolution si rapide ? Et cela est le cas pour toutes les fonctions de l'entreprise.
Allons même plus loin. L’exécution de la stratégie digitale s'est tellement technicisée, avec l'arrivée des cloud hybrides, de la blockchain, des data lakes, ... Comment le dirigeant peut-il donner ses recommandations en termes d'exécution lorsqu'il a conscience qu'il n'appréhende pas tous les effets de ses décisions ? La révolution digitale introduit des problèmes de formulation et de relation entre le dirigeant et ses équipes, mais aussi entre le dirigeant et toutes les parties prenantes. Ces défis introduisent des problèmes de confiance réciproques car les équipes peuvent rapidement comprendre que leur niveau de compétence dans l’exécution dépasse, peut-être, celui du dirigeant.
Cette question de la transformation des organisations, et des effets de cette transformation sur les pratiques, représente le vrai point épineux. La stratégie digitale est si récente qu'elle pose des problèmes de formation et de formulation, car même si la stratégie digitale est une question de personnes, de gestion des individus et des relations inter-personnelles, le rapport de l'individu à la technologie de ne peut pas être écarté. Rappelez-vous des Ludistes au 18ème siècle. Et avec cette transformation va donc la brusque hausse de la pénétration des technologies dans les entreprises. On ne travaille plus aujourd'hui comme il y a 15 ans. On ne manage donc plus aujourd'hui comme il y a 15 ans. On ne construit donc plus une stratégie comme avant.
Et les tensions que ces évolutions impliquent génèrent des émotions pour le dirigeant qui sont du registre de la solitude, de l'angoisse et du doute.
L'angoisse est liée au fait que le dirigeant en place depuis plusieurs années formule des stratégies. Il est même parfois excellent dans cette pratique. Or le monde a changé très rapidement ces dernières années. Il comprend qu'il ne peut plus agir comme il le faisait; il comprend que ses salariés ont changé, que son entreprise a changé et que les compétences de ses salariés sont aujourd'hui différentes. Il dispose d'une plus grande latitude opérationnelle. Mais comment faire ? Les options dont il dispose aujourd’hui sont récentes et impliquent des compétences nouvelles et des prises de risque inédites, il n'a donc ni le recul, ni l'expérience. Le risque perçu est considérable, et il est toujours à relier avec la solitude du dirigeant. A qui peut-il en parle sans donner, à ses yeux, l'impression qu'il est incompétent ? Et cela est valable pour tous les dirigeants, cette solitude couplée à la pression constante de l'évolution du digital sont donc vecteur d'une angoisse prégnante.
De plus, le dirigeant est conscient d'une pression supplémentaire. Ce n'est pas parce que l'on ignore un phénomène, qu'il n'est pas là et que ses effets ne se propagent pas dans l'entreprise. Et ce problème est d'ampleur. Le digital a généré de nombreux chocs dans les organisations, révélant tout ce que nous ne savions pas, tout ce sur quoi nous n'avions pas été formé, tout ce sur quoi nous n'avions pas travaillé. Donc le dirigeant apprend, à marche forcée, mais que ne sait-il pas encore ? Que lui reste-t-il encore à découvrir ? Ce qu'il ne sait pas encore va-t-il considérablement affecter son entreprise ?
Ainsi, même en rattrapant le temps perdu, en comprenant en partie ce que ces chocs révèlent, il y a aussi toute la zone obscure composée des choses que ces chocs n'ont pas encore révélé. "Avons-nous besoin d'un CDO comme nos concurrents ? Mais au fait, ça fait quoi exactement un CDO ?
Quel va être le réel effet de la RGPD sur ma relation avec mes clients ? C'est quoi la vraie fonction d'un community manager ? Est-ce un commercial mais sur Internet ? Et si le community manager fait des bêtises sur les réseaux sociaux, mon entreprise va-t-elle s'en remettre ? La réputation que nous avons mis 20 ans à construire est-elle remise en jeu par trois tweets un peu maladroits ? Et mes commerciaux? Si nous vendons encore plus sur internet, devrais-je me séparer de mes commerciaux avec lesquels je travaille depuis 20 ans ?"
Et les doute se renforcent, accroissant l'angoisse.
Il est clair que la révolution digitale nous est un peu tombée dessus sans crier garde. Peu de dirigeants aujourd'hui peuvent dire qu'ils ont été formés à ses effets. L'inter-connectivité avec l'explosion des réseaux sociaux, les évaluations, les partages, ...; l'omniprésence des algorithmes, les moteurs de recherche, les recommandations, ... La notion de données elle-même a été affectée et avec elle les méthodes d'analyse, les différents modes de stockage de l’information, les modalités de circulation, ... La mobilité quant à elle, dont la vitesse de propagation surprend encore, a des conséquences stupéfiantes dans les mécanismes de prise de décision des consommateurs, affectant d'autant les stratégies des entreprises. Tous ces éléments sont aujourd'hui prégnants dans nos sociétés, et affectent les entreprises, et donc la façon dont elles sont gérées.
Bien entendu, analyser le positionnement du dirigeant n'oblitère pas la question fondamentale du rôle du collaborateur au sein de la stratégie digitale. Le leadership en matière de stratégie digitale est crucial. J'adresserai tous ces points lorsque j'aborderai les défis du Leadership Digital. Il s'agira de l'article prochain, suspens !
Le certificat TDO met en perspective la révolution numérique et accompagne les dirigeants pour porter cette mutation au cœur de leurs organisations.
La formation mixe enseignements pragmatiques et partage d'expériences et vous permet de :
- acquérir des méthodes de pilotage d’un projet de transformation digitale tout en s’appuyant sur les leviers de création de la valeur,
- poser un diagnostic organisationnel sur les blocages de la transformation,
- concevoir un plan marketing servant la transformation digitale,
- développer votre propre leadership transformateur,
- agir sur votre organisation dans une dynamique de conduite du changement.